mardi 12 octobre 2010

Des pilules rattrapées par le soupçon



    



Des pilules rattrapées par le soupçon.

    D’étranges rumeurs rôdent depuis quelques mois autour des firmes pharmaceutiques. Dans leurs dépôts arrivent des cartons fermés ; déballés, ils exhibent des poudres multicolores. Versées dans des chaînes au nickel très germanique, elles en émergent comprimés ou pilules. On leur fournit alors des papiers en règle puis on les enferme  dans des flacons ou des boîtes sur lesquels on poinçonne un de ces noms courants, si proches qu’ils font partie de la famille: nos chers antibiotiques, nos braves antirhumatismaux, nos délicieux antidépresseurs, et puis les autres : ceux qui nous font bander ou qui ont raison de nos bouffées de chaleur. Peu après, la marchandise, embarquée dans des camions, se dirige vers les pharmacies d’Europe ou d’ailleurs.
 Jusque là rien que de très habituel. Mais la rumeur ne surgit pas pour de l’habituel ; si elle est là c’est qu’il y a de l’inhabituel, du pourri, de l’indécent, bref de l’information.
Avant leur arrivée au dépôt, les cartons ont stationné sur les quais de Delhi ou de Shanghai, puis ils ont pris la mer et l’ont gardé longtemps. Pilules et cachets sont des expatriés : nés chinois ou indiens, ils sont devenus  européens sans peine ni visa, par la grâce d’un commerce qui est tout sauf équitable : il fait si bon fabriquer ses produits dix fois moins cher pour un grand matador de l’industrie pharmaceutique ! Et puis, quel mal y a-t-il à aider les pays émergents en leur passant commande de quelques kilos de poudre destinés à devenir pilules !  C’est là que la rumeur surenchérit : la poudre est truquée, des substances toxiques y pointent le nez … inadvertance ou nécessité de faire le poids ? De curieux ingrédients, pas toujours exotiques, font le guet au creux des gélules: goudron, résine, silicone, what else ? 
Les firmes sous-traitent leur marchandise dans des pays bon marché ; à pays peu exigeant, firmes peu regardantes. Au bout de cette chaîne de désinvoltures, la marchandise est mise en vente dans des officines dont les caducées clignotent à travers les rues de Londres, Paris ou Berlin. Nés indiens, chinois ou malais, les médicaments sont rebaptisés européens de pure souche, par la grâce d’une discrimination qui positive avant tout les dividendes.
La rumeur a frappé aux grilles des laboratoires, reçue par un préposé aux relations publiques, jeune technocrate au sourire plastifié : la traçabilité des produits ? D’une absolue transparence décrète-t-il derrière son sourire. Dix minutes après, la transparence se voile ; poussé dans ses derniers retranchements, le préposé avoue ne pas connaître l’origine exacte des produits. Traçabilité en cavale pour multinationales mafieuses.
Déçue par le plastifié au sourire d’amphétamines, la rumeur décide d’aller plus loin. Dans les bas-fonds de Delhi, une caméra s’immisce dans un réduit aux murs suintants ; la poudre est malaxée dans une machine au nickel éteint. Origine ? Europe de l’Est, heure de gloire ? Bien avant la chute du mur. Machine usagée vendue aux indigènes d’inde orientale par des « camarades » à l’humanisme de pacotille.
Devant le malaxeur en question, un homme se tient debout. Chemise grisâtre, mains nues, il sourit à la caméra tandis que le malaxeur malaxe…
Chine, Inde, Afrique noire, ces usines de sous traitance de la planète décortiquent des navires moribonds bardés de produits toxiques et fabriquent les poudres destinées à devenir médicaments.
Que les pauvres préparent aux riches leurs potions, cela prouve que le transfert de technologie a changé de direction ! Que les dites potions soient concoctées dans des malaxeurs de pauvres, la chose est inévitable, mais que les malaxeurs y distillent des traces de goudron, de nickel ou d’arsenic voilà qui passe mal au « journal de vingt heures ». A qui attribuer la faute ? Bonne foi de pauvre qui flanche ou résidus émanant du malaxeur ?  L’approximation était à craindre de la part d’émergents qui n’ont pas encore émergé à l’air pur de la rigueur scientifique, celui qui flotte dans les villes d’Europe, par dessus les gaz d’échappement des voitures !
Retour à Delhi : la rumeur quitte le réduit, l’homme referme sa porte. La caméra fignole des images destinées à une chaîne de bon aloi ; le soir même, une indignation légitime est enregistrée par les sondages, puis la rumeur  s’en va renifler d’autres charognes.  Au fond de leurs usines aux façades irréprochables, les firmes pharmaceutiques emballent leurs gélules  sans états d’âme… la vie, long fleuve tranquille, n’en finit pas de  charrier ses horreurs ordinaires.

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