mardi 21 septembre 2010

Numérique et autres démons.

Numérique et autres démons.

L’analogique a fait son temps, fini, révolu, mort. Une technique s’en va, une autre prend sa place, increvable progrès !
 Le numérique nous obture l’encéphale…la nature a horreur du vide. Sur l’écran plat de nos ennuis, un récepteur égrène ses bouquets, parant à tout risque de vague à l’âme. Impossible de ne pas trouver programme à sa taille, pour dilapider la plage horaire sans utilité évidente qui s’interpose entre la table et le lit. Les chaînes télévisées défilent, numérotées de « un » à « cent mille »…
Mais laissons là les récepteurs. Regardez-vous, regardez-moi ! Dès le départ, une date, un poids, premiers identifiants numériques. A l’école, les notes, au travail un rang, un salaire, un identifiant, encore des nombres.  Ensuite, carte d’identité,  passeport, cartes bancaires, portables, portes d’entrée à code… Numérisés de partout.
Mais le nec plus ultra reste l’âge, le mien, le vôtre ! Les nombres ne veulent rien dire ? Regardez vous le soir après une journée ordinaire, rapprochez votre face du miroir de la salle de bains… au fond de vos prunelles, un escadron d’années défile au pas de charge : vingt, trente, quarante, puis le reste. Destins numériques implacablement ascendants, nous effeuillons des jours que la vie additionne.  
La planète s’abîme, les hommes vieillissent ;  partout l’âge retouche ses pyramides, on rétrécit la base pour élargir le sommet, ça donne une forme bizarre qui tient du tonneau. Plantée sur une base étroite, notre pyramide vacille, les guerres la font tanguer… guerres saintes contre les démons que l’occident a élus pour se faire peur. Les démons sont jeunes, alors les guerres n’ont pas le choix, ce sont les jeunes qu’elles mettent en joue.
De l’autre côté de la planète, tout en haut de la pyramide- tonneau, des vieux sont assis. Bien au chaud devant leur récepteur numérique, ils regardent, sur LCD, une guerre qui n’est plus la leur : à Ghaza « encore un enfant de cassé, vlà les vautours qui passent ! Encore un enfant de cassé, vlà les vautours passés » ! Il faut convenir que ces enfants palestiniens n’ont rien trouvé de mieux  que de se faire tirer dessus ; graines de terroriste, complices de factions armées, ils meurent pour que triomphe l’éthique, celle qui flotte en haut de la pyramide.  
Mais les conflits se succèdent à un rythme tel que l’éthique ne parvient plus à suivre : qui se souvient encore de la remarquable épuration qui nettoya Ghaza en Janvier 2009 ?  Vingt jours, mille quatre cent morts, combat pour l’éthique, une éthique qui tue !  Remarquez, elle aurait pu gazer mais il ne faut pas mélanger les genres : désormais les guerres sont propres, pas d’armes chimiques ou si peu ! Pas de cibles civiles ou alors par hasard… Il n’ya plus que les kamikazes dérangés  de Bagdad ou  Kaboul qui ont le mauvais goût de se faire exploser n’importe où, transformant les rues défoncées en ruisseaux où le sang se mêle aux carcasses des voitures, tandis que des mouches attaquent un cadavre qu’on n’a pas eu le temps de ramasser. 
Pendant ce temps, au creux des récepteurs numériques du monde de l’éthique, on repasse en boucle quelque atrocité de la seconde guerre mondiale. Au fond de leurs fauteuils, les vieux se souviennent et s’émeuvent. Voila soixante ans qu’ils s’émeuvent, ça marche toujours. Blottis dans leurs pantoufles, entre médicaments et programme télé, qu’ont-ils d’autre à faire que se souvenir de ce qu’on ne cesse de leur rappeler ! Alors ils augmentent le son du téléviseur et se souviennent. C’est qu’ils ont tout leur temps. Partis pour durer. Durer pour ne rien faire, se défaire par petits bouts, se flétrir s’abîmer, perdre les dents, la mémoire, ne plus bander, ne plus jouir. Partis pour ne plus jamais partir. Leur numérique n’a plus de vie, des chiffres qui grimpent sans rien dedans.

 Trente octobre 2009 : Claude Lévi-Strauss disparaît à l’âge de cent ans. Il a eu le mérite de demeurer à l’abri de la médiatisation imbécile qui fête les centenaires, comme s’ils avaient accompli quelque prouesse. Aucune prouesse, ni chance ni malchance, un hasard aveugle a réglé leur horloge de vie sur cent ans dont dix de déchéance ; quant aux gamins de Ghaza, leur horloge était bloquée sur quinze ans et une cartouche perdue.




2 commentaires:

  1. le compte est bon.
    malla kobbi bien tourné.
    brabbi el marra ejjaya choufelna houija zahiya.

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  2. La prochaine fois ce sera Alice au pays des merveilles, promis!

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